CÉRAMIQUE PHOTO-SENSIBLE
Cécile Vazeille,
céramiste à Montcuit — de son propre aveu, « ça ne s’invente pas ! » — développe une gamme d’objets utilitaires en grès, parfois émaillés, parfois enfumés. Ces ob- jets, transcendant leurs ambitions fonctionnelles, s’exposent dans les différentes circonstances qu’offre la zone frontalière floue entre métiers d’art et arts visuels. C’est ce qui vaut aujourd’hui que je pose sur les œuvres de Cécile Vazeille mon regard partial, afin de mettre en mots une lecture personnelle de sa démarche.
J’ai connu le travail de Cécile Vazeille par le biais d’un duo de bouteilles exposées au musée de la Céramique de Ger. Obscures et mattes, élancées, aussi fines qu’il est possible de faire sans compromettre leur stabilité, ces bouteilles ont forgé une idée de l’esthétique mise en œuvre par la céramiste. J’en découvrît par la suite l’étendue de la richesse, tout en en ayant déjà sous les yeux une forme essentielle. Ayant travaillé dans le milieu de la photographie dans une vie antérieure, Cécile Vazeille aborde le travail de l’argile en étant imprégnée d’une culture de l’image. Ce bagage traverse le travail de la céramiste de part en part, des formes jusqu’au cœur de la matière.
Bouteilles élancées, vases lentilles qui reprennent la forme du vase boule, mais comme réduit d’une dimension ; tout est ici dédié à l’expression de la silhouette de la pièce. Le volume, indissociable de la pratique de l’argile, concours à la création d’un profil. À l’instar de la photographie, qui vient interpréter notre perception de la réalité pour la projeter sur une surface plane, Cécile Vazeille semble créer des formes destinées à s’imprimer sur notre rétine.
La photo-graphie, ou l’action d’écrire avec la lumière, se retrouve dans les détails des objets. La forme en révolution se pare d’un dégradé de lumière, l’arrête dessine une rupture de ton entre deux surfaces, l’encoche laisse apparaître une variation d’éclairage. L’action de la lumière transforme les pièces en lignes et en zones de valeurs. Toutes ces silhouettes peuvent aussi se projeter les unes sur les autres — l’artiste les présentant volontiers en groupe — ce qui nuance encore la palette des tons.
La manière dont la lumière se diffuse sur les surface est variable. Par le jeu des diffé- rents traitements de surface proposés et la variété des résultats qui en découlent, une palette allant des mates au brillants est offerte à notre regard. Comme à l’image, on peut deviner du grain sur certaines des pièces ce qui renforce leur qualité haptique. Comme une forme d’aller-retour, la céramiste collabore également avec des photo- graphes pour mettre en valeur ses pièces. Leur compétence pour poser la lumière sur les objets et en capturer l’effet souligne le dialogue entre la silhouette et la matière.
À cause de cette dualité entre la lumière et son absence, j’ai mis longtemps à per- cevoir la couleur dans le travail de Cécile Vazeille. En réalité, elle développe dans son univers une palette étendue de couleurs et de textures. Sur une plage de galets, on verra le gris avant de remarquer toutes les nuances portées individuellement par chaque roche. L’exemple n’est pas anodin ; le vocabulaire colorimétrique de l’artiste est fortement imprégné des bords de mers minéraux et de leur atmosphère. Les gris se teintent de bleu et de vert, les blancs rencontrent les beiges, l’argile déploie ses variations de bruns sourds. Un rose sableux fait une apparition, comme celui qui nappe tout le paysage à une heure dite de la fin de certaines journées.
Pour s’offrir un maximum de possibilités, la céramiste explore l’ensemble des techniques à sa disposition. De l’émail — quête infinie en soi — à l’enfumage aux contrastes nuageux, en passant par l’adjonction de matériaux tiers directement sur les pièces émaillées. C’est ce qu’elle fait avec un fil de cuivre, qui vient se dissoudre au sein de l’émail et qu’elle poursuit d’assiette en assiette, fil conducteur au propre et au figuré.
Cécile Vazeille expérimente aussi en intégrant des matières récoltées dans sa re- cherche, ancrant sa pratique dans une écologie des matériaux, allant jusqu’à cuire des galets à même ses pièces. À la fois muse et ressource, ce ready-made-material opère la synthèse de plusieurs aspects de cette approche qui fait se rencontrer re- cherche et sensibilité personnelle.
Comme lors du développement de la photographique argentique, la pose de l’émail se fait dans des bains « chargés » et met en jeu des réactions physico-chimiques. Une différence majeure étant la nécessité ensuite de figer cette pellicule par le feu, au voisinage des 1300°C. L’incertitude du résultat demande une tolérance à l’aléa et un goût pour l’expérimentation qui sont les points forts de la céramiste.
Sa sensibilité et la mise en œuvre d’une démarche cohérente — réfléchie tout en sachant accueillir l’inattendu, chargée d’une identité et d’un parcours personnels — font entrer de pleins droits l’œuvre utilitaire de Cécile Vazeille dans le champs de l’art contemporain.
Alexandre Daull Juin 2023